Je me rappelle : elle était venue me dire qu'elle allait partir, qu'elle voulait quitter la ville avec ses deux enfants.
"Ici, c'est mort, de toute façon, je trouverai jamais de boulot..."
Elle disait qu'elle avait une amie, là-bas, dans le sud, à Pézenas (c'est dans l'Hérault), qu'elle allait descendre bosser avec elle, qu'elle voulait tout recommencer, tout reprendre à zéro.
Et les deux gosses, blêmes, frêles, de la regarder, elle, leur mère, surexcitée pour l'occasion, avec ce drôle de regard que peuvent avoir les mômes quand ils ne croient plus depuis longtemps à une histoire trop souvent répétee, ressassée.
Elle n'avait pas laissé d'adresse, elle avait quitté l'école comme on s'enfuit d'un pays, pensant sans doute que le geôlier, c'était moi, ou quelque chose comme ça.
Les mois avaient passé. D'autres étaient arrivés, repartis. Je n'y pensais plus : le bulldozer du quotidien est très efficace pour nettoyer les souvenirs ...
Et la voici devant moi, se tortillant, un peu comme une gamine prise en faute. Le retour à la case départ. Et les deux gosses, à côté d'elle. Huit-dix ans, ils n'ont guère changé, pendant ces sept mois, un peu plus pâles, plus résignés, un peu plus prêts à affronter cette drôle de vie, qui continue, comme un mauvais film, qui cahote en permanence d'ennuis en emmerdes, sans espoirs de projets, de changements. Comme vaincus.
Il est long et compliqué, le chemin du bonheur. Il arrive qu'on se croit libre, qu'on se trompe de prison, ou de geôlier. Il arrive aussi qu'on ne sache plus bien de quel côté des barreaux on se trouve, ni même au juste s'il y a des barreaux, s'il y a un "dehors".
Perdus. Je les sentais perdus tous les trois. Je n'ai pas interrogé la maman sur ce qui s'était - ou ne s'était pas- passé. Par pudeur. Je crois qu'elle a apprécié.
J'ai juste souri aux gosses en leur re-souhaitant la bienvenue, et les ai laissé partir en courant dans la cour de récré. Avec les autres.